Boris Lehman

Premières journées Cinéma & Autobiographie, 8-10 décembre 2010

Choses qui me rattachent aux êtres

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Réalisation : Boris Lehman
16 mm couleur - 2010 -  15 min

Image : Antoine-Marie Meert / Son : Jacques Dapoz / Montage : Ariane Mellet
Production & distribution : Dovfilms

Le film se présente comme un inventaire à la Prévert, à la Perec. Proche de l’esprit Dada, de l’Oulipo ou de Fluxus. Depuis le fameux « Ceci n’est pas une pipe » de René Magritte, on sait que les évidences sont trompeuses, que les mots, comme les images, peuvent être détournés de leur fonction première. Chez moi c’est différent : il s’agit de créer l’objet par l’image et le mot, en le filmant. Acte de création, comme Dieu le fit. Je montre à la caméra quelques objets de mon quotidien ayant appartenu à d’autres, que j’ai aimés ou côtoyés, et je dis : « Je suis la somme de tout ce que les autres m’ont donné. » Quel lien mystérieux peut-il y avoir entre ces choses ? Entre ces choses et moi ?

Boris Lehman


 

Boris Lehman : cinéaste belge, né à Lausanne en 1944.
Vit et travaille principalement à Bruxelles, en Belgique.
 A produit et réalisé près de 400 films.

Boris Lehman, cinéaste de la deuxième personne



Tout le monde vous le dira : Boris Lehman est un cinéaste de la première personne. Il fait partie de cette famille mythique et sympathique qui compte aussi les frères ou cousins Brakhage, Mekas, Morder, De Bernardi, Noren, Hernandez, Kawanaka, Guttenplan, Hanoun, Courant ou Akerman, et qui rapproche le cinéma de la littérature intime et de l’autoportrait.
Il a tout fait pour mériter cette parenté: il a souvent été son propre scénariste, son propre opérateur, son propre monteur. Il a enquêté sur lui-même, fait de l’auto-ethnologie. Il a été l’acteur principal de beaucoup de ses films, rayonnant amant dans Couple, Regards, Positions, enquêteur gentiment narcissique dans Babel, pratiquant la mise en abyme (et l’autodérision) dans Homme portant son film le plus lourd. La plupart de ses films sont des autoportraits, je dirais même, en pensant à ce film où on le voit en « homme de terre » ou à cet autre (Masque) où il se fait faire son masque mortuaire, des auto-embaumements.
Oui, mais voilà, Boris accueille aussi les autres, les fait entrer dans ses films, leur fait une place auprès, en face, à côté de lui. Il est l’auteur d’Album 1, film super 8 d’une heure où il filme ses amis et se fait filmer par eux. Et il vient de réaliser Mes Entretiens filmés où il demande à des critiques amis de parler de son cinéma. Bref, il pratique le narcissisme à plusieurs et ses auto-célébrations ont un casting d’enfer.
Après une projection de ces Entretiens filmés à la Cinémathèque française, Jean Rouch s’est dit frappé de ce que les gens y étaient « ridicules et laids ». En voyant le film, je n’avais cessé de penser le contraire: « Étonnant comme Untel et Untel sont bien, jamais ils n’ont été aussi bien ». Boris feint d’interroger ses interlocuteurs sur lui-même mais c’est pour mieux les faire parler d’eux. Son narcissisme libère le leur, les rend plus confiants et plus libres.
C’est sans doute le syndrome de Christophe Colomb ou des Soeurs Tatin: on ne fait jamais ce qu’on croit, on fait même quelquefois le contraire. Boris Lehman croit faire un cinéma en première personne mais peut-être qu’il a en réalité entrepris le meilleur cinéma en deuxième personne de ces trente dernières années.

Dominique Noguez