Café/Ciné #8 : Dominique Maugars

Des Hommes véritables
Dominique Maugars

HommesVeritables+Clairvendredi 23 mai 2014 18:30

Chez Chris B.
Anciens Entrepôts de la gare d’Olonne-sur-mer
entrée gratuite
18 h 30 - 20 h 30

Projection-Rencontre avec Dominique Maugars
Dominique M. a été cheminot dans un atelier de réparation de matériel ferroviaire. Il y a fait du cinéma, grâce à un ciné-club. Bien avant qu’il vienne travailler dans cet atelier, son père en a été licencié pour raisons politiques, et la diffusion du film soviétique «Un homme véritable» y a été interdite. En rassemblant les films et les documents retraçant l’histoire de cet atelier, Dominique M. revisite son histoire et celle de ceux qui y ont travaillé et construit leur vie.

« Ce film est une histoire d’hommes et de femmes porteurs de sens. C’est l’histoire de l’intelligence du monde ouvrier, capable de relever de grands défis sociaux et culturels. » Dominique Maugars

Sans Canal Fixe

Des hommes véritables

Un film de Dominique Maugars, cheminot et réalisateur et Yvan Petit, monteur

Comment est né ce film ?
Dominique Maugars : Je conservais pleins de bobines de films tournés par le ciné-club de la CIMT de Saint-Pierre-des-Corps depuis l’après-guerre, que la section CGT avait gardées toutes ces années. Elles sont aujourd’hui regroupées au sein du fonds «Cadoux» de Ciné-Archives à Paris, qui gère le fonds audiovisuel du PCF et du mouvement ouvrier et démocratique. Je voulais les utiliser dans un film, dont le scénario aurait tourné autour de mon histoire et de celle de mon père. Les ateliers de réparation ferroviaire de Saint-Pierre-des-Corps, c’est une histoire de famille : nous y avons travaillé tous les deux. Sauf que mon père, lui, en avait été renvoyé, pour avoir participé à un mouve- ment de grève contre la guerre d’Algérie. En me plongeant dans les procès-verbaux des réunions du Comité d’Établissement, j’ai découvert les conditions de son licenciement, et comment la direction avait, là encore pour des raisons politiques, interdit la projection d’un film au ciné-club de la boîte. C’est ce cheminement qui m’a fait construire mon scénario autour de l’histoire, riche de luttes, de cette entreprise et des hommes qui y ont travaillé. Et tout cela vu au travers du prisme du cinéma, leur cinéma, et le mien.
Des hommes véritables témoigne particulièrement du rôle des activités socioculturelles des Comités d’Entreprise (C.E.) dans la vie ouvrière depuis l’après-guerre. Vous montrez de nombreux extraits de ces films amateurs qui documentent le sujet. Au-delà de leur aspect naïf, que nous disent ces films, à nous, en 2013 ?
Dominique Maugars : D’une façon très subtile, ce sont des films politiques. Yvan, de Sans Canal Fixe, Julie, de Ciné-Archives, et tous les gens que j’ai rencontrés qui m’ont permis d’identifier des personnes présentes sur ces images, m’ont donné les clés pour les regarder. A un ami, je montre un film des années cinquante sur un cross qui eût lieu près de la porte de l’usine. Et là, il reconnaît son frère. Il m’explique que c’était une sélection pour le Cross de l’Humanité. Ce film prend alors une autre dimension pour moi, il me parle, il devient une archive. Et à travers une image de jeunes gens qui participent à une course, apparaît en filigrane toute l’organisation de ces activités mises en place par et pour les ouvriers. Cela recouvrait aussi des enjeux syndicaux : Force Ouvrière et les autonomes étaient majoritaires, or ces loisirs étaient dûs pour une grande part à la CGT. Avec nos yeux actuels, on n’y voit que des activités de C.E. En les replaçant dans le contexte de l’époque, ce qui frappe c’est cette grande force collective : ces gens construisaient leur avenir ensemble. Le sens politique, il est là.
Yvan Petit : Finalement les films les plus politiques ne sont pas ceux sur des manifestations, des occupations, des affrontements. Je me souviendrai toujours d’une phrase prononcée par Georges, un cheminot de Saint-Pierre-des-Corps. « Tu vois un mec qui fait du ski. Ça paraît banal. Mais quand tu sais qu’il fait du ski parce qu’un C.E. a organisé le voyage et que le gars qui est en train de skier n’avait jamais mis le pied sur un ski auparavant, tu te rends compte qu’une conquête sociale, ça passe aussi par ça ».
Dans une séquence, un jeune cheminot fait le parallèle entre cette époque, que toi, Dominique, tu as bien connue, et celle d’aujourd’hui. Le fossé semble immense entre les deux. Vois-tu ton film comme un passage de relais, d’une génération à l’autre ?

Dominique Maugars : C’est un film résolument tourné vers l’avenir. Je veux être un passeur de mémoire, pour rappeler que le mouvement ouvrier est composé d’hommes et de femmes dont la vie ne se limite pas à boulot-dodo, mais qui réfléchissent, s’organisent, et cherchent à améliorer leur sort. J’ai voulu montrer la réalité de cette solidarité qui existait au sein de l’entreprise, et qui se construisait entre autres par les activités de C.E. Elle nous a permis de relever les défis de la vie. Aujourd’hui, l’organisation du travail casse le collectif qui était pourtant porteur de sens, et qui permettait aussi de créer le rapport de force avec le patronat. Il est urgent aujourd’hui de se rassembler autour des valeurs de partage. D’ailleurs, mon film n’aurait pu exister sans elles. Sa fabrication est à leur image, avec la contribution de gens d’âges et d’horizons différents : des ouvriers bien sûr, et des gens qui travaillent dans le domaine des archives, dans le cinéma, mais aussi des musiciens qui amènent leur propre regard. Pour moi c’est fondamental, si on ne veut pas régresser, rester entre soi. Je n’aurais pas pu faire ce film tout seul, sans tous ces gens, et sans Yvan, qui m’a accompagné dans l’écriture, le tournage et a fait le montage. Une structure comme Sans Canal Fixe montre qu’il y a des pistes pour que des gens hors du sérail comme moi aient la possibilité de faire des films et de raconter leur histoire.
Dans une autre séquence, nous assistons à ta découverte, à Ciné-Archives, d’un film réalisé par les cadres en réponse à ceux du ciné-club des salariés. Elle dévoile une dimension surprenante des luttes au sein de l’entreprise…par films interposés !
Dominique Maugars : Le cinéma a toujours été omniprésent dans l’histoire des ateliers de réparation ferroviaire de Saint-Pierre-des-Corps. Il est vite devenu un enjeu de lutte de classe. Rimailho, leur fondateur et premier patron, avait aussi inventé un appareil photographique, et fait partie du conseil d’administration de Gaumont. Des films sur la simplification du travail et l’exploitation des ouvriers étaient projetés durant la formation des cadres. Mais ce film sur une de leurs sorties, je l’ai découvert par hasard au milieu d’un paquet d’autres entreposés au local CGT, et quelle surprise quand j’ai vu son contenu : pour contrer l’image que se donnaient les ouvriers à travers leurs films de C.E., le patron de l’époque organise de toute pièce une sortie avec ses cadres et se la fait filmer…
Yvan Petit : Ce qui frappe dans ce film des cadres, c’est que seuls des hommes y apparaissent. Tout le contraire des films du C.E. de cette époque, dans lesquels on voit des femmes, des hommes, avec les gamins, des familles, qui passent de
chouettes moments ensemble. De l’autre côté, 3 hommes, qui juste avant avaient les cravates remontées jusqu’au cou, dansent tous seuls en faisant croire qu’ils s’amusent pendant 10 secondes, le temps de la durée du plan… Ce plan-là, avec les visages crispés de ces cadres des années cinquante, filmés les uns après les autres, faisant semblant d’être de bonne humeur, vaut tous les plans politiques du monde !
C’est un film à multiples entrées : film à la première personne, histoire(s) individuelle(s), histoire collective, allers-retours entre passé et présent, utilisation d’archives et de reconstitutions… Comment avez-vous réussi à tirer parti de toutes ces contradictions ?

Yvan Petit : Pendant la préparation du film, Dominique m’a dit qu’il ne pouvait pas raconter son histoire en ne parlant que de lui. Nous avons donc cherché ensemble quelle allait être sa place dans le film et je pense qu’on l’a trouvée, en faisant de lui ce personnage qui entraîne le spectateur dans son enquête personnelle. Je trouve que c’est profondément sain de dire qu’on fait un film pour soi. Un film à la première personne n’est pas un film pour parler de soi. C’est un parti-pris qui offre la possibilité de contourner la prétendue objec- tivité du reportage ou du journalisme. Il y a toujours une subjectivité derrière les images. Il faut assumer de dire je et se mettre en scène, en risque. Une histoire collective, c’est une suite de je… Un jour un de ces je se dit : « moi je m’y colle pour la raconter cette histoire, pour moi, pour les autres… ». Mais pour qu’il y ait du je, il faut que cela passe par le jeu. Des hommes véritables regorge de spontanéité. C’est un film qui possède une profonde croyance dans le cinéma, il joue avec ses codes. Il est empli de moments où l’on sent le plai- sir qui a été pris à le réaliser. Bien sûr, faire un film est toujours long et douloureux, n’em- pêche qu’au final, c’est un film joyeux, et c’est très important pour le respect du spectateur.
De nos jours, les activités des C.E. jouent-elles toujours un rôle émancipateur auprès des salariés ?

Dominique Maugars : Elles sont assaillies de toutes parts. C’est de l’argent sur lequel les patrons ne peuvent pas avoir de mainmise. C’est vu comme un privilège par d’autres. Et le monde ouvrier est attaqué aujourd’hui plus durement et plus sournoisement qu’il ne l’était à l’époque. En 1945, Antoine Voisin (militant communiste, résistant et métallo de Saint-Pierre-des-Corps qui apparaît dans des archives du fonds Cadoux, reprises dans le film de Dominique, ndlr), sort des camps de concentration, reprend le boulot et s’en- gage à fond dans le ciné-club… A ce moment-là, les C.E. bâtissaient un nouveau monde.
Yvan Petit : Dans le cadre de ses activités culturelles, le C.E. Cheminots Région SNCF de Tours a apporté son soutien financier au film, pour la mise en place d’un atelier de comédiens ouvert aux cheminots. C’est de là que sont issues les séquences, écrites à partir des procès-verbaux, qui mettent en scène des réunions de C.E. L’en- semble des syndicats du bureau du C.E. a voté pour, ce qui n’était pas gagné d’avance !

Des hommes véritables

Synopsis, écriture, prise de vue, réalisation, assistant à la réalisation, montage, musique originale, mixage, étalonnage :
Dominique Maugars, Yvan Petit

«Des hommes véritables»
paroles de Allain Leprest et Patrick Piquet, musique de Gérard Pierron, Brice Kartmann, Benjamin Bouillot
Documentaire – France – 2013
53 minutes – mini DV, super 8 et 16 mm – couleur et N&B – 4 : 3

Soutenu au développement par CICLIC – Région Centre Soutenu dans le cadre du CUCS par la ville de Saint-Pierre-des-Corps et le Conseil Général d’Indre-et-Loire
Avec l’aide du Conseil Général d’Indre-et-Loire, fonds d’animation local de Saint-Pierre-des-Corps et C.E. Cheminots Région SNCF de Tours
Les films d’archives sont conservés à Ciné-Archives
Production et distribution Sans Canal Fixe – 2, place Raspail 37000 Tours 02 47 05 24 78 – contact@sanscanalfixe.org www.sanscanalfixe.org

Collectif de réalisateurs et de programmateurs de films documentaires depuis sa création, Sans Canal Fixe développe son activité autour de trois pôles complémentaires :
– La réalisation, essentiellement documentaire
– La diffusion publique (projections-rencontres, festivals)
– L’éveil au cinéma, à travers des formations, des ateliers de réalisation et des films participatifs
La production de films personnels ou de projets collectifs s’inscrit dans une réflexion générale sur les formes d’écriture cinématographiques émergentes. L’association fonctionne comme un laboratoire permanent, permettant de réaliser des « premiers gestes » cinémato- graphiques, ou d’expérimenter de nouvelles pratiques notamment collectives et participatives.
Depuis une dizaine d’années, une centaines de « petites formes », pour reprendre une expression du champ théâtral, ainsi que plusieurs longs-métrages documentaires ont ainsi été diffusés en public. La variété des lieux et des moyens de diffusion est aussi privilégié : diffusion de rue, projection en salles, festivals…
Ces modes de fabrication sont également partagés et pratiqués dans des ateliers d’éducation à l’image proposés par les réalisateurs de l’association. Chacune de ces interventions, non modélisées, consiste à trouver un équilibre entre un indispensable travail de critique des médias (en abordant la télévision avec les outils théoriques du cinéma), et une pratique du cinéma alternative, désacralisée, et inscrite socialement.
L’association organise des projections afin de faire découvrir ses productions et celles d’autres réalisateurs indépendants. Les diffusions publiques sont le lieu privilégié de rencontres entre des films, des réalisateurs et des publics. Cette préférence pour ce type de diffusion est une suite logique de notre volonté d’offrir des cadres mieux adaptés à ces formes cinématographiques atypiques. Le film retrouve ainsi son statut de proposition, d’essai, en opposition à l’idée de produit.
Partisan d’un « cinéma d’espace public », Sans Canal Fixe propose depuis plusieurs années des alternatives à la diffusion classique en salle. En envisageant le lieu de diffusion comme faisant partie du processus cinématographique, il s’agit aussi de questionner la notion de « voir-ensemble ». Sortir des salles, considérer le cinéma comme un lieu ouvert, modifie le rapport aux films, au cinéma, à la ville, en proposant un cinéma provisoire, temporaire, un cinéma qu’on croise au détour d’une rue.
Sans Canal Fixe travaille en collaboration avec de nombreux partenaires – institutions, villes, associations – qui ouvrent leurs lieux ou offrent des espaces, des instants pour des projections.
Sans Canal Fixe développe des liens avec des réalisateurs, avec d’autres structures de production et de diffusion afin de nourrir cette réflexion sur d’autres manières de montrer des films et participe à la mise en place de réseaux de circulation des films.