Café/Ciné #10 : Benoît Labourdette
Vendredi 16 janvier 2015, Café d’Eve, Les Sables d’Olonne, 18h30
Soirée Kaleïdoscope
« Le kaléidoscope propose une vision très « organique » des choses. Comme une métaphore visuelle de la division cellulaire, il ouvre à un champ de perceptions et d’émotions assez peu fréquenté, bien au delà du décoratif qu’il pourrait sembler incarner de prime abord. Cette figure m’a toujours questionné, je vous en propose une exploration cinématographique. » « Je réalise des courts métrages comme un peintre fait des tableaux, dans une démarche généralement individuelle, loin des pratiques académiques de fabrication du cinéma. Certains films sont réalisés de façon très spontanée, d’autres peuvent prendre des années à mûrir. J’explore la rencontre entre l’image et le monde. Je vous propose des expériences de cinéma, qui, le plus souvent, racontent aussi des histoires… »Benoît Labourdette
Lors du Café/Ciné #10, Benoît Labourdette, accompagné par la comédienne Louise Moaty, nous proposerons une véritable performance, à base d’une série de courts films, mais aussi d’interventions parlées ou chantées. Une soirée pleine de surprises…
Vous pouvez télécharger ici la liste des films de la série Kaleidoscope que Benoît Labourdette a choisis pour la soirée du 16 janvier.
Penser l’image du kaléidoscope animé
Les critères de la composition
Lorsqu’on fait le cadrage d’une image avec une caméra, on emploie, le plus souvent, les critères classiques de la composition d’image, hérités de la tradition de la peinture figurative. Ce qui est bien naturel. On cadre les choses telles qu’on les voit dans l’appareil de prise de vue, image dont le cadrage est le même que celui que le spectateur verra. Système « Wysiwyg » (initiales de What You See Is What You Get), cher à l’informatique lorsqu’elle est devenue « user friendly », avec l’apparition du Macintosh en 1984.
Bien-sûr, ce système fonctionne, c’est celui des peintres figuratifs, et ses qualités pour la fabrication sont éprouvées. Mais en réalité les choses ne sont pas si simples en peinture, car il y a tout le travail de la matière de l’image elle-même, dont le résultat ne se donne pas forcément à voir immédiatement. A fortiori pour la gravure, beaucoup d’étapes, abstraites, précèdent « l’apparition » de l’image.
La pellicule argentique
De même, lorsque l’on prenait des photos ou des films avec des pellicules argentiques, on ne voyait dans le viseur de l’appareil qu’une idée du cadrage, mais les autres réglages devaient être faits « à l’aveugle », avec différentes aides (cellule photo-électrique notamment), et on ne découvrait qu’après le développement de la pellicule la luminosité (ou exposition), le rendu des couleurs ou du noir et blanc, le contraste, l’équilibre des couleurs, bref, la « matière » de l’image. D’ailleurs l’appareil photo considéré comme le meilleur au monde, le Leica, n’avait même pas de visée réflexe, c’est à dire que le cadrage était fait « au jugé », surtout pour les plans de près, le viseur étant déporté par rapport à l’objectif. Donc, le photographe avec Leica devait surtout imaginer son image, et la fabriquer avec un geste, sa maîtrise venant au fur et à mesure de l’expérience et d’une connaissance plus intime de sa machine.
La vidéo et le numérique
Depuis l’apparition des caméras vidéo, puis des caméras numériques, ce que nous regardons pour fabriquer l’image n’est plus un « viseur », c’est un écran, qui nous montre l’image déjà reproduite (ou presque), c’est à dire ce que sera l’image vue par le futur spectateur. C’est la même image. C’est à dire qu’on ne peut plus vraiment penser l’image, imaginer l’image, on en est immédiatement spectateur, on se situe tout de suite de l’autre côté de la barrière, si on peut dire.
Cela a de multiples intérêts, on gagne de l’argent, on économise les surprises, on maîtrise (ou on croit maîtriser) beaucoup plus l’image. Mais c’est, conceptuellement, une facilité qui, paradoxalement, en nous faisant miroiter une maîtrise immédiate, vide d’une certaine manière la situation de prise de vue de son mystère, de son imaginaire, de sa tension. Il ne s’agit pas pour moi de regretter un passé que nous supposerions plus « noble » que le présent. Il s’agit juste de penser qu’on ne peut plus, du tout, penser l’acte de fabrication d’image de la même manière qu’avant. L’outil est devenu essentiellement différent, donc l’acte de prise de vue change aussi d’essence.
Le kaléidoscope
Qu’est-ce qu’un kaléidoscope animé ? La façon dont je le compose (et je ne suis pas le seul à employer cette technique) est simplement de placer, à côté d’elle-même, la même image, retournée, verticalement et/ou horizontalement, afin que ses bords se connectent à eux-mêmes, comme en un miroir, produisant ainsi une image continue (on ne voit pas des petites imagettes côte à côte, du fait de leurs retournements, leurs bords sont fluides, donc difficiles à discerner en tant que tels, puisqu’ils produisent une forme autre, comme le font les images du test de Rorschach).
Pour que l’image finale conserve les mêmes proportions que l’image initiale qui sera dupliquée, le kaléidoscope est constitué de 4 images, ou 9, ou 16, dans ma pratique.
Les centres du kaléidoscope
Du fait de cette disposition en miroirs dépliés, ce qui se retrouve aux « centres » du kaléidoscope, ce sont les zones de connexion entre les bords et les coins des images. Ainsi, lorsqu’on cadre l’image, dans le but qu’elle soit montée en kaléidoscope, on ne va plus, du tout, cadrer en fonction d’une composition dont nous verrions le résultat, mais on va cadrer par les bords et les angles, en portant la plus grande attention à ce qui se passe à ces endroits là, qui est ce qui est le plus négligeable visuellement, dans nos codes culturels de composition, mais qui deviendra, dans l’image-kaléidoscope future, les zones les plus importantes, les plus signifiantes pour le spectateur. Bref, ce qui est quasiment invisible au moment de la prise de vue est ce qui va construire le sujet essentiel de l’image que verra le spectateur.
Retour de l’abstraction et de la vie
Ainsi, l’opérateur de prise de vue du kaléidoscope se retrouve, à nouveau, dans la position de celui qui met en place, autour d’une structure imaginaire, d’une idée, les conditions d’une image future, qui n’est pas immédiatement donnée à voir. On pourrait, tout à fait et très facilement, construire un système temps réel qui permettrait de visualiser immédiatement le résultat du kaléidoscope. Mais, alors, la maîtrise que cet outil apporterait viderait immédiatement le kaléidoscope de sa zone imaginaire, de son rêve, de son utopie, bref de sa vie et de son désir. Ce qui fait qu’une image est forte, c’est son mystère, son désir d’existence. Le fantasme de l’homme de devenir Dieu, de maîtriser pleinement les représentations qu’il fabrique, l’amènent à produire un monde froid.
Fabriquer des kaléidoscopes animés en ne pouvant pas voir tout de suite le résultat, c’est partir à l’aventure, en tant que regardeur, et l’image produite sera un partage de cette aventure, du mystère, de la découverte, de l’imprévu, de l’accident qui donne la vie. Un partage de la libre interprétation.
Benoît Labourdette, 2 mars 2014
voir aussi son site : http://www.benoitlabourdette.com/